A l’époque de Léon et Frédérick Lesca, sous le second empire, la presqu’île du Cap-Ferret était quasiment déserte et appartenait à la commune de La Teste de Buch. Les premiers occupants de cette lande désertique furent les gardiens du premier sémaphore, quelques douaniers, quelques forestiers, des chasseurs et des pêcheurs. Ils s’y rendaient parfois mais de façon ponctuelle et logés dans des cabanes rudimentaires ou des bateaux pontons. Cette bande de sable inaccessible a longtemps été délaissée par les testerins qui ne la considéraient pas du tout, jusqu’au jour où elle a été rattachée à la commune de Lège en 1976.
L’histoire de Léon et Frédérick LESCA
Pierre Lesca est né en 1785 à La Teste de Buch, il est le second d’une fratrie de 8 enfants. Il fut tenancier d’un relais de poste et entrepreneur forestier à la fin XVIII siècle, à cette époque, il mit aussi en œuvre une plantation de pins pour fixer les dunes de la presqu’île du Cap-Ferret. Il fût également un précurseur dans le traitement industriel de la résine de pin. Il eut six enfants et deux d’entre eux, Joseph dit « Frédérick » et Bernard, appelé Léon en famille, menèrent ensemble de nombreuses opérations forestières. Les deux frères qui avaient 10 ans d’écart étaient très proches et en 1863 ils acquièrent 1200 hectares du pare-feu central à l’ouest du rivage du bassin d’Arcachon, les lois dites « spéciales » de 1860 et 1863 autorisaient en effet le déclassement d’une partie de la forêt domaniale, une zone marécageuse. Frédéric et Léon emportèrent les enchères publiques qui n’attirait guère d’acquéreurs à l’exception d’une parcelle conservée par la famille Pauillac à « Petit Piquey » leur propriété s’étendit au gré des enchères de Claouey à l’entrée du cap Ferret. Les deux frères firent construire deux relais de chasse au lieu-dit « le Boque », le Saint Hubert pour Léon et le chalet du cap qui existe encore pour Frédérick.
Frédérick Lesca fut un entrepreneur forestier comme son père et il fonda la société térébenthine Lesca, spécialisée dans les produits résineux. Il eut également une société de tonnellerie pour le transport de la résine. Avec les forêts de pins qu’il planta, il fabriqua avec les troncs, des poteaux de mine qui l’exportaient. A cette époque, il n’y avait pas d’accès routier et tous ces produits étaient expédiés par bateau. Près des pins plantés par son père, Frédérick fit construire une villa, la villa « les hirondelles » au lieu-dit la « pointe aux chevaux »
Léon Lesca, le frère cadet de Frédérick se lança dans les travaux publics, au début de sa carrière il séjourna à Chalon-sur-Saône ou il rencontra sa future femme, qu’il épousa en 1860. Il demeura chez ses beaux-parents à Bordeaux et aura six enfants. Son entreprise se développant, Il fit construire un très bel hôtel particulier à Bordeaux, puis des chantiers de plus en plus conséquents comme le port de Boulogne-sur-Mer, les quais de Toulouse, la construction de la voie ferrée Toulouse-Castelnaudary puis la ligne de chemin de fer Philippeville-Constantine en Algérie. Il obtint en 1862 le chantier de l’agrandissement du port d’Alger.
Il fit fortune et revint en France en 1865. A son retour, ils achètent avec son frère, les terres de la presqu’île du Ferret. En 1866, il confia à son ami architecte, Eugène Ormière, la réalisation de sa villa au lieu-dit « Gnagnotte ». Le choix de l’entrepreneur de construire une villa de style néo-mauresque fût influencé par le séjour passé en Algérie, un désir d’orient ! Léon rêvait d’y mener une vie de pacha. Tous les matériaux nécessaires à la construction furent transportés par bateaux depuis le port de la Teste de Buch. Une fois achevée, l’ambiance de cette villa faisait penser à un « palais oriental » avec sa coupole sommée d’un croissant de lune, ces céramique polychromes, son arc polylobé …
Elle était équipée de tout le confort moderne, avec l’eau courante mais aussi le chauffage central.
Il l’a baptisa « Villa Algérienne », elle était entourée d’un parc de plus de 20 hectares, Léon Lesca imagina un magnifique décor paysager agrémenté d’un pont en rocaille, d’une grotte artificielle dressée au milieu des statues et des oiseaux, et des plantes exotiques importées d’Algérie, des palmiers, des cèdres, des yuccas, des cactus et des mimosas, cette espèce était alors inconnue dans notre région. Il s’y trouvait également un verger, un potager ou les jardiniers cultivaient des légumes de saison pour nourrir la famille, le personnel et pour vendre le reste au marché de la Teste de Buch.
Dans sa villa monsieur Léon Lesca a accueilli un grand nombre de personnalités : le président Adolphe Thiers, la reine Ranavalona de Madagascar, Sarah Bernhardt et bien d’autres encore. Les invités s’y rendaient par bateau pour accoster à une jetée ponton spécialement construite pour les recevoir.
Léon mit en place « le courrier du cap », en effet une navette régulière entre Arcachon et le Cap-Ferret assuré par l’ancien chalutier « le ville de Rochefort » venait apporter le courrier aux habitants.
Léon Lesca eut beaucoup d’autres activités, l’exploitation forestière, le commerce de l’élevage des réservoirs à poisson qu’il fit à « Piraillan », l’ostréiculture, la vente de mimosa… Il fit planter derrière sa villa, 5 hectares de vignes avec des plants provenant de Margaux et de Crimée.
Pour loger son personnel qui était composé d’environ 80 personnes et qui étaient chargés de l’entretien de la villa et du parc mais aussi de ses entreprises, Léon Lesca fit bâtir à proximité de sa propriété douze maisons ainsi qu’une école. Pour que sa famille et son personnel puissent bénéficier d’un lieu de culte, il obtint par décret du président Jules Grévy l’autorisation de construire une chapelle privée et c’est naturellement qu’il confia Jean Eugène ormières en 1885 la délicate tâche de réaliser un édifice chrétien dans un style néo-mauresque. La chapelle « sainte Marie du cap » fut consacrée le 8 septembre 1885. Le visiteur est accueilli par une phrase en arabe signifiant « bienvenue » et par une ornementation dans la tradition islamique, l’édifice est aussi encadré par 2 tours crénelées et percés de meurtrières, à l’intérieur un éclectisme qui semble unir les églises d’orient et d’occident puis des années plus tard sa petite fille Antoinette Borde offrit la Chapelle Sainte Marie du Cap à l’évêché de bordeaux. Celui-ci la revendit à la commune de Lège-Cap-Ferret pour un franc symbolique. Inscrite à l’inventaire des monuments historiques en 2008, elle fut restaurée en 2011.
Histoire de la succession LESCA
Après le décès de Frédéric Lesca en 1889, le partage de sa propriété, qui était de 500 hectares, eut lieu devant le notaire en 1898. Ce fut 221 hectares situés au nord qui revinrent à Léon et le reste au sud fut légué à ses descendants tandis que les parties communes, voies et places restèrent en indivision. En 1913 et à l’âge de 88 ans c’est Léon Lesca qui décède. Ses biens furent légués en indivision à ses enfants. Pendant près de 40 ans suivant le décès de Léon ses héritiers qui étaient en indivision eurent la charge extrêmement lourde de l’entretien coûteux de la villa. Après qu’elle était occupée par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale, les héritiers la retrouvèrent dans un état lamentable. La charpente rongée par les termites, ils décidèrent alors de sortir de l’indivision en procédant à un partage de 3 lots de valeur égale. C’est le plus jeune fils de Léon Lesca, Gabriel, vivant au Maroc qui hérita du lot incluant la villa, il ne put investir suffisamment pour la rénover et encore moins l’entretenir par la suite. Après avoir proposé à ses héritiers, Gabriel pris la décision de mettre en vente la villa, puisqu’il ne souhaitait pas leur laisser un cadeau empoisonné. Ne trouvant aucun riche acheteur, il dut la céder à un promoteur, la villa algérienne fut donc démolie en 1966 et remplacée par un immeuble ou seule la clôture fut conservée. Dix ans plus tard Roger Cazalet, le maire de la commune de Lège-Cap-Ferret regretta cette démolition déclarant que la villa aurait parfaitement convenue pour accueillir la mairie.
De nos jours, on dénombre environ 350 descendants de Frédéric et de Léon, environ 50 d’entre eux sont encore propriétaires de quinze maisons de leur ancêtre. Beaucoup ne portent plus le patronyme « Lesca » et ignorent même pour certains leur ascendance. Quelques descendants aisés sont répartis dans toute la France et dans le monde et possèdent encore de belles villas au « village de l’herbe ».
Le domaine Léon Lesca en 6 dates :
-1865 : Acquisition de son domaine sur la presqu’île.
-1866 : Construction de sa villa, « la villa Algérienne »
-1885 : Construction de la chapelle Algérienne par Eugène Ormière, la « Chapelle Sainte-Marie-du-Cap »
-1913 : Son décès à l’âge de 88 ans.
-1966 : La démolition de la « villa Algérienne »
-2011 : La restauration de la chapelle « Sainte-Marie-du-Cap »